La loi de Téhéran : Au pays des mollahs, pour le peuple, c’est la religion plus l’opium.

La loi de Téhéran : Au pays des mollahs, pour le peuple, c'est la (...)

La Loi de Téhéran est un thriller iranien écrit et réalisé par Saeed Roustayi, sorti en 2019.
Il sera diffusé par VLC dans le cadre du mois du cinéma iranien en janvier.

Si vous n’avez pas encore vu ce film qui s’est déjà taillé une belle réputation, en Iran comme à l’étranger, en remportant notamment le prix du jury des rencontres cinématographiques de Salon, il faudra vous offrir une séance de rattrapage avec VLC le 4 janvier.

Plus de 2h durant ce film coup de poing vous cloue au fauteuil. Le réalisateur tisse sur une trame de thriller classique, le portrait halluciné d’un pays à la dérive. Une brigade de la police de Téhéran, menée par un flic obstiné et brutal, va tenter de remonter la filière qui approvisionne la ville en crack, cette drogue aussi bon marché que meurtrière. Quand on sait qu’avec la manne de l’opium afghan et l’explosion des laboratoires de transformation en Iran, une dose de crack coûte 2 dollars, on comprend que la consommation ait explosé en quelques années dans ce pays où la jeunesse pauvre est massivement au chômage. Importée d’Afghanistan, l’héroïne coûte 2 ou 3 dollars le gramme.

Une fois mélangée à du bicarbonate (ou à n’importe quoi), elle est asséchée et craque comme du cristal ; le black crack est une production locale avec du pavot récolté de ¬l’autre côté de la frontière irano-afghane par des paysans au service des talibans. Le fléau touche toute la société, tant la répression sanglante qui a frappé les manifestations de 2019, s’ajoutant à la crise économique et à la corruption qui minent le pays, a plongé la population dans une dépression sévère. Les drogués : jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants, envahissent les parcs et lieux publics de Téhéran, sans que le gouvernement ne fasse grand-chose pour enrayer la situation, sinon bien sûr appliquer la peine de mort pour les plus petites détentions de drogue (30 grammes).

"Ces dernières années, la toxicomanie a changé de visage en Iran. Elle est sortie de la clandestinité pour se révéler au grand jour. De plus en plus de toxicomanes sont visibles dans la rue. Leur dépendance à une nouvelle substance, le crack, les a mis à la rue de façon beaucoup plus massive et plus rapide que ne le faisaient les autres drogues", explique le réalisateur Saeed Roustayi.

Venu du documentaire, le réalisateur, est profondément heurté par l’explosion de la consommation de drogue dans son pays, qui détient désormais le triste record du plus fort taux de consommation de stupéfiants en tous genres dans la population au monde, ainsi d’ailleurs que de demande de médicaments. Saeed Roustayi va passer un an à documenter son sujet, aussi bien dans la ville qu’au sein de la brigade des stupéfiants ainsi qu’au tribunal ou dans les prisons.

Une mise en scène implacable

On comprend que cette réalité n’offre que bien peu d’espoir. Mais le film parvient à nous maintenir en haleine par la magie d’une mise en scène à la fois efficace et redoutablement intelligente. Tout repose sur la confrontation des deux personnages, le flic et le trafiquant, que tout semble opposer, avant que les ressorts du scénario ne multiplient les fissures dans ce tableau trop simple. Le jugement du spectateur sur ces deux êtres restera indécidable jusqu’à la fin.

Après Life and a day, son premier long métrage, Saeed Roustayi a retrouvé les comédiens Payman Maadi (le flic Samad) et Navid Mohammadzadeh (le parrain de la pègre Nasser). Les deux acteurs sont impressionnants de justesse, et parfaitement secondés par une galerie de personnages qui vient renforcer l’ultra-réalisme du film. Si l’on doit apporter un bémol, il vient de notre méconnaissance du système judiciaire iranien qui empêche par moments de saisir toute la complexité des rapports de force qui dressent les personnages les uns contre les autres, et rend le combat de cette brigade de police presque inextricable.

Enfin, la photographie et les décors participent à immerger le spectateur dans le spectacle d’une réalité folle. De la première à la dernière séquence, on a le souffle coupé par ce que l’on voit. La descente de police dans les quartiers sud de Téhéran où survivent les drogués est un moment d’anthologie. Les êtres humains sont réduits au rang de bêtes, par la drogue, mais aussi par un système judiciaire qui n’a pas le luxe de traiter des individus. Ce peuple des drogués de Téhéran convoque pêle-mêle des images, qu’on aimerait emprunter à l’Enfer de Dante, aux prisons de Piranèse, à l’épopée des misérables d’Hugo, pour essayer d’approcher le caractère démesuré de cette violence sociale. Le film va crescendo jusqu’à une hallucinante séquence finale. Quelques moments de lumière traversent pourtant ce film noir, la grâce de deux enfants frêles, la compassion d’un juge, nous rappellent que dans ce pays où 60 % de la population a moins de 30 ans, c’est pour eux qu’il faut se battre afin de faire changer la réalité. Et c’est à cela que sert le cinéma d’un Saeed Roustayi. Confronté à la censure, ainsi qu’à la fronde de la police, qui n’aimait pas l’image donnée de son travail, celui-ci a tenu bon et a obtenu après presque un an de bataille que son film sorte sans changement majeur.

"Ce film était considéré comme indésirable, nous avons subi des pressions. Une fois qu’il a été tourné, c’est la brigade des stupéfiants qui a cherché à empêcher sa sortie. Ses représentants estimaient en effet que leurs efforts n’étaient pas assez représentés dans le film. Notre position a été de dire que nous ne réalisions pas un film de commande à la gloire de la police, mais que nous nous intéressions à des êtres humains, toxicomanes, trafiquants ou policiers"

Sophie G.